Auteur : Jean-Philippe le 20/12/2005 13:50:02
n°26388R0 - A propos des fusaïoles en plomb... |
Je viens de voir dans les demandes d'identification des personnes qui se posaient encore la question sur l'usage des fusaïoles en plomb et sur leurs périodes. Je viens de retrouver dans la revue mensuelle de l’école d’anthropologie de Paris de 1896 un très bon article de G. de Mortillet.
Le voici dans son intégralité :
La fabrication du fil est une des premières et des plus importantes étapes de toute civilisation. Elle précède nécessairement le tissage et la confection des véritables étoffes. Aussi la trouvons-nous déjà à l'âge de la pierre (époque robenhausienne). La station lacustre de Robenhausen a fourni abondamment du fil et des étoffes diverses. L'archéologie classique nous montre la fabrication du fil fortement développée et même grandement en honneur chez les peuples les plus anciens : les Égyptiens, les Assyriens, les Grecs, les Étrusques, etc. L'ethnographie américaine précolombienne fournit aussi la preuve que les peuples les plus avancés du Nouveau Continent savaient produire du fil et que cette industrie était fort en honneur chez eux. Partout la femme était employée à filer; partout aussi l'appareil de filage était des plus simples. Qu'on le prenne dans les temps préhistoriques, dans l'ethnographie américaine ou chez les nations les plus civilisées de l'antiquité, il est toujours le même. Il se compose d'une quenouille, d'un fuseau et d'un peson ou volant — nommé fusaïole — pour régler le mouvement du fuseau. Les millions et millions de femmes qui depuis les temps préhistoriques ou les périodes historiques de l'ancienne Égypte se sont servies du fuseau ont employé des milliards et des milliards de fusaïoles. Il en est parvenu jusqu'à nous des quantités considérables, et pourtant rien n'était et n'est même encore moins connu.
La Revue mensuelle de l'École s'est déjà occupée par deux fois de ce qui concerne les fusaïoles en terre cuite. J'en ai parlé et donné quatre figures dans ma Chronique de juillet 1894, p. 224; et Giuseppe Bellucci, dans le numéro de janvier 1895, p. 27, a figuré et décrit de fort intéressantes fusaïoles italiennes des XVIe ou XVIIe siècles, note qu'il a plus largement développée en avril de la même année dans une élégante plaquette intitulée : Usi nuziali dell' Umbria. Nous allons nous occuper aujourd'hui des fusaïoles en plomb. Il est important de bien établir la question car la fusaïole qui s'était maintenue jusqu'à nos jours disparaît complètement devant les progrès de l'industrie. Elle régnait en maîtresse depuis les temps les plus reculés, jusqu'au XVIe siècle, où apparut le rouet, conception d'un homme de génie dont le nom est resté complètement inconnu. Ce fut le rouet qui donna l'idée de la filature mécanique inventée en Angleterre au milieu du XVIIIe siècle. Le fuseau, avec sa fusaïole, lutta encore trois siècles contre le rouet et les métiers mécaniques. Dans mon enfance, c'est-à -dire dans la première moitié du XIXe siècle je l'ai vu encore grandement employé. II a maintenant complètement disparu devant les immenses progrès faits par la filature mécanique. Il est curieux de voir la modeste et pourtant utile industrie du filage à la main s'exercer pendant une longue série de siècles sans que personne s'occupe d'elle. Produisant en immense quantité un objet de première nécessité, personne ne faisait attention à elle. Ses appareils si simples et si peu nombreux, que l'on voyait constamment, restaient inconnus non seulement du public savant, mais même du public penseur! N'est-ce pas une image frappante de la démocratie !…
Aussi lorsqu'on a découvert des fusaïoles, on n'a pas su leur donner une attribution. Déclarer que c'étaient des pesons de fuseau a été une grande hardiesse, presque une découverte. La démonstration est faite maintenant pour les fusaïoles en terre cuite. Nous allons achever celle qui concerne les fusaïoles en plomb.
Ces dernières sont des anneaux à trou central et circulaire pour introduire le bout du fuseau. Le pourtour est assez épais, mais encore plus large qu'épais par suite d'un aplatissement des faces supérieure et inférieure, dont la partie extérieure est généralement ornée d'un crénelé en relief. Ainsi que je l'ai exposé à la Société d'anthropologie, séance du 6 juillet 1893, p. 461, du temps où tout ce qu'on ne connaissait pas était attribué aux Gaulois, on les a considérées comme des monnaies gauloises. Cette opinion a encore été exposée en 1861, par de Widranges dans un travail intitulé: Des anneaux et des rouelles. Antique monnaie des Gaulois. Cet auteur, dans ses planches, figure quatre fusaïoles en plomb. Comme on ne les a jamais rencontrées dans les trésors monétaires et qu'on les a constatées au bas des fuseaux de certaines femmes bretonnes, ces fusaïoles ont maintenant tout à fait disparu des médailliers. Pourtant elles figurent encore dans certaines collections parmi les objets gaulois et romains. Ainsi au musée des antiquités nationales de Saint-Germain, qui devrait être un musée modèle, faisant loi en fait de science, on voit encore ces fusaïoles figurer dans une vitrine des séries romaines. La salle où elles se trouvent a été ouverte il y a moins de dix ans, sous la savante direction de MM. Alexandre Bertrand et Salomon Reinach. II y a là 30 à 40 fusaïoles en plomb habilement placées entre les fusaïoles en terre cuite et les rouelles en métal. Si le rapprochement des fusaïoles en terre cuite est exact comme emploi industriel, celui des rouelles, qui dans l'antiquité étaient les équivalents de nos médailles de l'Immaculée Conception, n'a pas de fondement malgré l'assertion de quelques auteurs. Les fusaïoles, faciles à perdre et d'un emploi tellement commun, tellement général qu'on pourrait dire trivial, étaient en matière de peu de valeur, terre ou plomb, très exceptionnellement bronze. Les rouelles au contraire, comme amulettes, si elles étaient en plomb ou en potin pour le peuple, étaient en bronze, en argent et en or pour les gens riches.
Il nous reste à bien établir l'âge des fusaïoles en plomb?
Les folkloristes ont dûment établi que les fusaïoles en plomb étaient encore communément employées en Bretagne. Ils en ont recueilli non seulement au bout des fuseaux des fileuses, mais ils ont trouvé aussi les moules qui servaient à les fabriquer. Ainsi pour la Bretagne, il est incontestable que les fusaïoles en plomb ont été en usage jusqu'à nos jours. Cet usage remonte-t-il aux Romains, remonte-t-il aux Gaulois? Ce n'est pas probable car toutes les fusaïoles en plomb ont le plus grand air de famille. I1 n'est pas admissible que pendant deux mille ans un petit objet usuel, de fabrication facile, se soit maintenu sans varier dans sa forme et dans son ornementation. Toutes les fusaïoles en plomb sont ornées au pourtour d'un crénelage des plus uniformes. L'archéologie ne nous offre aucun exemple d'une persistance pareille.
Il y a plus, les fouilles sérieuses n'ont pas donné des fusaïoles en plomb dans les milieux romains. Je n'en citerai que deux exemples. Miln a fouillé avec le plus grand soin les ruines d'une villa romaine à Carnac. Il en a extrait des objets très divers, mais pas de fusaïoles en plomb; pourtant nous sommes-là eu pleine Bretagne. De Roucy a fait exécuter pour Napoléon III, d'immenses fouilles dans des milieux romains de la forêt de Compiègne. Les récoltes ont été des plus abondantes. Elles remplissent un grand nombre de vitrines du Musée de Saint-Germain. Pourtant parmi les fusaïoles en plomb de ce musée, il n'y en a que trois de la forêt de Compiègne, sans indication précise de localité, par conséquent ne provenant pas des milieux romains qui sont toujours cités avec soin. Cela confirme pleinement ce que je disais plus haut que les fouilles romaines sérieuses ne donnent pas des fusaïoles en plomb.
Il me reste à citer un échantillon qui vient d'être offert à la collection de l'École d'anthropologie par M. Delseriès, inspecteur primaire à Saint-Claude (Jura).
Il a été trouvé isolément dans un champ, commune de Lamoura, canton de Saint-Claude, vers la frontière Est de la France. C'est un anneau en plomb qui a tous les caractères de ceux de Bretagne, de ceux du Musée de Saint-Germain et de tous les autres. Comme eux il est orné au pourtour d'un crénelage en relief, mais entre ce crénelage et le trou central il y a de chaque côté une inscription :
Dessus : IEHAN GRVET
Dessous : PATER-1604
C'est le nom du fondeur Jean Gruet, père. Ce nom est encore assez répandu dans la région. 1604 nous donne la date de la fusion. Cette fusaïole n'est donc guère plus ancienne que celles de Bretagne.
Nous sommes par conséquent en droit de conclure que ces anneaux de plomb, à bords crénelés, ont servi jusqu'à nos jours de fusaïoles et qu'ils remontent au plus au moyen âge. Les Romains n'en faisaient pas usage. Nous devons donc les retirer des séries romaines dans nos collections et nos musées.
|
|
|
Auteur : Michel V. le 20/12/2005 15:08:41
n°26388R1 - Bonjour Jean-Philippe |
Merci pour cet exposé clair et net. Espérons maintenant que ce mythe de ''rouelle à cabochons'' disparaisse enfin au plus vite des esprits les plus conservateurs ! Les vrais rouelles sont celles qui ont des rayons, donc exit également le mythe des anneaux gaulois appellés à tort ''rouelles''
a+
Michel
|
|
|
Auteur : Shiva le 20/12/2005 16:19:00
n°26388R2 - Aaaah ! |
Ah, enfin, la vérité dans un article des plus clairs ! Cela n'empêchera pas certains vendeurs de continuer à vendre ces fusaïoles pour de la pré-monnaie gauloise, mais au moins les gens du forum ne se feront plus avoir et prendront enfin ces objets (sympathiques au demeurant) pour ce qu'il sont et ne datant pas de l'antiquité. Ce que je ne comprends pas pourtant c'est que c'est un article de 1896 et que plus d'un siècle plus tard, on n'a toujours pas compris. Les vieux clichés sont tenaces en archéologie, dites donc !
Super, Jean-Philippe ! Bravo !
Shiva
|
|
|
Auteur : taz le 20/12/2005 16:54:42
n°26388R3 - merci |
merci jean-philippe, pour cette explication.Je prend note. merci beaucoup.
|
|
|
Auteur : leonard226 le 20/12/2005 17:41:58
n°26388R4 - Génial ton article... |
Mais je suis un peu déçu, ça me plaisait bien d'avoir de la pré monétaire gauloise...
|
|
|
Auteur : raf72 le 20/12/2005 19:29:54
n°26388R5 - tan pis |
salut jean philippe, superbe travail que tu a fais la .
c'est domage que ma rou.......pardon ma fusaole ne soit pas une rouelle gauloise.
j'ai encore vu ,il n'y a pas longtemps sur une grande foire sur le mans(les puces sarthoises),plusieurs antiquaires avec en vitrine des rouelles gauloises exactement comme la mienne.
il m'ont dit que les gaulois s'en servais comme monnaie ou amulette???
sinon ,un petit jeu visuel ,roulle gauche ou droite?
amicalement et bonne detection a tous raf
|
|
|
Auteur : Michel V. le 20/12/2005 19:39:05
n°26388R6 - Bonsoir Raf..... |
|
|
Auteur : DP le 20/12/2005 23:41:43
n°26388R7 - Bah ! |
|
|
Auteur : Michel V. le 21/12/2005 11:18:11
n°26388R8 - En complément à l'article de |
de G. de Mortillet présenté ici par Jean-Philippe, je rajoute le croquis qui montre l'utilisation de la fusaïole.
a+
Michel
|
|
|
Auteur : Jean-Philippe le 21/12/2005 11:27:33
n°26388R9 - Très bien... |
|
|
Auteur : Evelyne le 21/12/2005 12:09:18
n°26388R10 - fusaïoles illustrations |
Quelques exemples montrant la diversité des matières et des formes :
- Extrait site anglo-saxon :
en 1/ : fusaïole en pierre
en 2/ : en os
- Extrait site allemand :
en 3/ : une forme non lisse (reconstitution)...mais la matiére n'aéait pas précisée...
@+
PS : bravo à JP d'avoir 'ressorti' cet article très clair ..
DP : il faut voir cela du bon côté cela donne l'occasion de publier des mises au point de plus en plus fouillées après chaque amnésie !
|
|
|
Auteur : Janus le 21/12/2005 13:35:27
n°26388R11 - photo |
Une photo vaut mieux qu'un long discours.
Prise en Crète, cette photo de fileuse ne montre PAS de fusaiole...alors...
|
|
|
Auteur : Jean-Philippe le 21/12/2005 13:59:26
n°26388R12 - héhé!! |
Peut-être est-elle cachée sous le la grosse pelote de fil.
|
|
|
Auteur : Evelyne le 21/12/2005 15:53:05
n°26388R13 - Précisions... |
... 2 choses sont possibles : soit la fusaïole est effectivement cachée, soit les caractéristiques intrinsèques du fuseau (forme, poids, diamètre...) permettent de s'en passer parce que l'inertie générée est suffisante.
Les fuseaux 'modernes' (disons à compter du XIXe) ne necessitent pas de fusaïole et à la limite la fileuse ne met un disque en bas du fuseau que pour stopper le fil et pas pour l'inertie...
|
|
|
Auteur : Janus le 21/12/2005 20:49:02
n°26388R14 - et si |
on coince une fusaiole au bas du fuseau et que l'on tourne rapidement, que croyez vous qu'il arrive, et ben il tombe...c'est peut être pour ça qu'on en trouve tant.
|
|
|
Auteur : el Caballero le 22/12/2005 10:37:53
n°26388R15 - Oui, sûrement... |
|
|
Auteur : Janus le 22/12/2005 18:22:33
n°26388R16 - quand meme |
Il ne faut pas passer sous silence le fait que l'archéologue Schliemann a trouvé en 1870 à Hissarlik (l'ancienne Troie) pas moins de 22000 fusaioles .
Près de 10000 de ces fusaioles ont été trouvées dans un même temple datant de 2000 à 1200 avant JC.
Et aussi entre 1870 et 1874 , à la suite d'étés très secs, on a découvert dans la Loire à Orléans 3.500 à 4.500 fusaïoles, 1.500 méreaux, 440 monnaies romaines, 226 poids, 51 monnaies gauloises et 5 monnaies grecques.
Toutes ces fusaioles n'étaient pas toutes en plomb certes, mais ça fait quand même beaucoup de fileuses dans ce temple ou alors au bord de la Loire, vous ne trouvez pas ?
Partant de là , l'hypothèse disant que toutes les fusaioles sont post médiévales tombe à l'eau, c'est le cas de le dire non ?
A mon avis, il reste encore beaucoup à apprendre sur le sujet.
à +
Janus
|
|
|
Auteur : rascal50 le 22/12/2005 18:44:18
n°26388R17 - observation |
[192] Bonjour je me répète mais bon j'en connais un modeste rayon en matière de fusaïolles car ici c'est plein de moutons depuis plus de 1000 ans. Regardez vos fusaïolles et vous verrez que le trou est BISEAUTE. Je ne sais pas si je m'exprime bien techniquement : posez l'objet à l'horizontale et vous verrez que l'un des côtés du trou central est plus large que l'autre comprenez vous ?
Espérant avoir fait avancer la science fusaîollistique.
|
|
|
Auteur : Evelyne le 22/12/2005 19:17:38
n°26388R18 - humour ... |
|
|
Auteur : Moldor le 22/12/2005 19:35:33
n°26388R19 - fusaïoles |
[128] Bonsoir,
Effectivement rascal, le trou des fusaïoles est 'bisauté', on peut même préciser qu'il est en tronc de cône. De là le nom de rouelle tronconique.
cette façon de faire de trou s'explique aisément pour faciliter l'introduction de la fusaïole.
Pour ce qui est de l'utilité des bosses ???
@+.
|
|
|